Alors que les enjeux liés au développement durable et à l'écologie occupent une place croissante dans le débat public, la manière dont les entreprises communiquent sur leurs initiatives de responsabilité sociale évolue. Dans ce contexte, une nouvelle tendance émerge, moins visible mais tout aussi significative. Plutôt que de mettre en avant leurs politiques en faveur du développement durable, certaines entreprises choisissent une approche plus discrète, voire silencieuse. Ce phénomène a un nom : le greenhushing.
Qu’est-ce que le greenhushing ?
Définition de greenhushing
Le greenhushing est une pratique adoptée par certaines entreprises qui consiste à minimiser ou à taire délibérément leurs initiatives en faveur de l'environnement. Ce terme, apparu en 2008, se caractérise par une peur de la critique ou de ne pas être à la hauteur des attentes, poussant certaines organisations au silence concernant leurs efforts écologiques. Cette stratégie de communication discrète peut se manifester de diverses manières, comme l'omission d'informations dans les rapports annuels ou le choix de ne pas annoncer publiquement certains objectifs atteints, même lorsqu'ils sont significatifs.
Greenhushing vs Greenwashing
Alors que le greenhushing se caractérise par une sous-communication sur ses actions liées à la durabilité, le greenwashing (ou écoblanchiment), apparu dans les années 1990, désigne la pratique de surcommuniquer ou d'exagérer ses efforts en matière de responsabilité environnementale. Le greenwashing cherche à créer une image trompeuse de l'engagement d'une entreprise envers le développement durable, souvent à travers des campagnes marketing agressives ou des allégations fausses ou non fondées, dans le but d'améliorer artificiellement sa réputation. Par exemple, l'industrie automobile a été accusée de greenwashing en utilisant des termes comme "voiture verte" ou "véhicule zéro-émission", risquant ainsi de ternir durablement sa crédibilité auprès des consommateurs et des parties prenantes soucieuses de l'environnement.
Greenhushing : une tendance à la hausse
Le greenhushing est un phénomène en croissance rapide, comme le confirme la dernière étude de South Pole menée auprès de 1400 entreprises. Selon cette étude, 44% des entreprises interrogées déclarent que la communication externe sur leur stratégie climatique est devenue plus difficile en 2023. Parmi elles, 58% ont décidé de réduire leurs communications environnementales et 18% ne souhaitent pas communiquer sur leurs objectifs climatiques basés sur des données scientifiques (également connus sous le nom d'objectifs SBT - Science Based Targets). Plutôt que de risquer de ne pas atteindre les objectifs annoncés ou de s'exposer à la critique, beaucoup choisissent de limiter leur communication, préférant agir dans l'ombre.
Pourquoi certaines entreprises font-elles malgré elles du greenhushing ?
La crainte des répercussions liées aux accusations de greenwashing
Les entreprises sont de plus en plus prudentes dans leur communication environnementale, craignant d'être accusées d'exagérer leurs efforts. Cette prudence est justifiée, selon une étude menée par la Commission européenne en 2020, 53,3 % des allégations environnementales analysées dans l'Union Européenne étaient vagues, trompeuses ou sans fondements, et 40 % n'étaient pas appuyées par des preuves concrètes. Pour éviter les critiques, un grand nombre d'entreprises choisissent une communication plus discrète, voire inexistante, sur leurs initiatives écologiques.
L'évolution rapide du cadre réglementaire
Le cadre réglementaire encadrant la communication environnementale se resserre tant au niveau national qu'européen.
En France, la loi Climat et Résilience promulguée le 22 août 2021 a considérablement renforcé le cadre juridique encadrant les allégations environnementales dans la publicité. En inscrivant explicitement le greenwashing dans le Code de la consommation, cette loi a posé les bases d'une répression plus efficace des pratiques commerciales trompeuses. Par exemple, les entreprises qui utilisent des termes comme "neutre en carbone" ou d'autres formulations équivalentes doivent désormais prouver que ces allégations reposent sur des données vérifiables, faute de quoi elles s'exposent à des sanctions. Cette obligation de transparence pousse les organisations à fournir des justifications précises pour toutes les affirmations environnementales qu'elles formulent.
Au niveau européen, une récente directive publiée au Journal officiel de l’UE le 6 mars 2024, vient renforcer la lutte contre le greenwashing. Cette directive a pour objectif de protéger les consommateurs contre les allégations environnementales trompeuses, en précisant les critères d'évaluation et en interdisant notamment les allégations génériques et vagues, comme les termes "écologique", "vert" ou "naturel", qui peuvent induire les consommateurs en erreur sur les véritables qualités environnementales d'un produit.
La difficulté à atteindre et mesurer les objectifs annoncés
Les entreprises se trouvent face à un défi majeur : respecter leurs engagements publics en matière de responsabilité climatique. Cette réticence s'explique par la complexité inhérente aux enjeux environnementaux et la difficulté à quantifier précisément l'impact des actions réellement entreprises. Plutôt que de risquer de ne pas atteindre les objectifs annoncés, beaucoup choisissent de limiter leur communication, préférant agir dans l'ombre plutôt que de s'exposer à la critique.
Quelles solutions pour éviter le greenhushing ?
Adopter une approche mesurée et factuelle de la communication
Pour éviter le greenhushing, les entreprises doivent trouver un juste milieu entre transparence et action. Cela implique de mettre en place une communication progressive et factuelle, afin d'éviter les critiques. L'accent doit être mis sur la communication d'objectifs clairs, mesurables et réalistes dès le début de leur démarche environnementale.
Plutôt que de faire des promesses vagues, il est essentiel de communiquer régulièrement des mises à jour sur l'état d'avancement des projets, fondées sur des indicateurs de performance concrets. Cette transparence inspire confiance et montre un engagement authentique, même face à des obstacles.
Enfin, la clé réside dans la cohérence : en étant transparente à la fois sur les progrès et sur les difficultés, l'entreprise construit une réputation de fiabilité, minimisant ainsi le risque d'accusations de greenwashing.
Mettre en place des systèmes de mesure et de reporting robustes
La communication environnementale doit s’appuyer sur un système de mesure fiable, capable de suivre les performances réelles de l'entreprise. Un reporting rigoureux, assorti de données chiffrées et validé par des organismes tiers (comme des certifications ISO ou des labels RSE ou environnementaux), peut servir de preuve tangible des engagements pris.
Les entreprises doivent s'assurer que leurs rapports ne se contentent pas de listes de bonnes intentions, mais démontrent des résultats quantifiables. Par exemple, une société qui s'engage à réduire ses émissions de GES (gaz à effet de serre) pourrait rendre public son calcul d’empreinte carbone annuel, validé par un audit externe ou par l'utilisation d'une plateforme de comptabilité carbone. Cela permet non seulement de valoriser les initiatives concrètes, mais aussi de rassurer les parties prenantes quant à la véracité des affirmations.
Impliquer et former les collaborateurs pour une communication RSE efficace
La sensibilisation et la formation des employés aux enjeux environnementaux sont primordiales pour une communication efficace. En fournissant des lignes directrices claires sur la communication externe et en encourageant les collaborateurs à partager les diverses initiatives, les entreprises peuvent créer un environnement où chaque membre se sent investi dans la mission écologique de l'organisation. Cette approche permet de :
Développer une culture d'entreprise axée sur la responsabilité environnementale
Transformer les employés en ambassadeurs crédibles des efforts de l'entreprise
Assurer une cohérence entre les messages internes et externes
En dotant les employés des connaissances et des outils nécessaires pour communiquer efficacement sur ces initiatives, les entreprises créent un réseau de porte-paroles. Cette stratégie renforce la crédibilité des messages environnementaux de l'entreprise, et donc l'image de marque, tout en favorisant une compréhension approfondie des enjeux à tous les niveaux de l'organisation
Conclusion
Le phénomène de greenhushing met en lumière le dilemme auquel sont confrontées les entreprises : bien qu'elles reconnaissent l'importance de communiquer sur leurs efforts en matière de durabilité, elles redoutent les critiques en cas de non-respect des nouvelles normes strictes. Cette tension croissante favorise le greenhushing, révélant une approche prudente et parfois silencieuse de la communication environnementale des entreprises.
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