Face à une pression croissante des régulateurs, des investisseurs et des consommateurs, la décarbonation est passée du statut d'initiative environnementale à celui de pilier incontournable de la stratégie des entreprises. Dans un contexte où atteindre la neutralité carbone est une nécessité, les organisations doivent élaborer des plans d'action concrets pour réduire leurs émissions tout en maintenant leur compétitivité.
Qu'est-ce qu'une stratégie de décarbonation ?
Une stratégie de décarbonation est un plan structuré regroupant des actions et des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'une organisation, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'une industrie ou d'une entité publique. Elle constitue un levier stratégique essentiel pour répondre aux enjeux climatiques.
Pour être efficace, une stratégie de décarbonation repose sur plusieurs étapes, parmi lesquelles :
Une évaluation approfondie des émissions actuelles (bilan carbone, identification des postes clés) ;
La définition d’objectifs de réduction clairs, alignés sur les standards internationaux (ex. Science Based Targets) ;
La mise en œuvre de mesures concrètes pour réduire les émissions, que ce soit par l’efficacité énergétique, l’électrification, ou l’intégration d’énergies renouvelables.
Une stratégie bien structurée permet aux entreprises de gérer activement les risques climatiques et de maîtriser les coûts associés aux émissions. Elle renforce leur résilience face aux évolutions réglementaires et aux dynamiques de marché tout en répondant aux attentes croissantes des parties prenantes en matière de durabilité.
Comprendre les défis de la décarbonation
Objectifs climatiques mondiaux
L'Accord de Paris de 2015 vise à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C, idéalement 1,5 °C, par rapport à l'ère préindustrielle. Pour y parvenir, les émissions mondiales de CO2 doivent baisser de 45 % d'ici 2030 (par rapport à 2010) et atteindre la neutralité carbone vers 2050. Les COP successives renforcent ces objectifs et orientent les politiques climatiques.
Impact sur les entreprises
La décarbonation transforme l'économie dans tous les secteurs. Les entreprises font face à des pressions croissantes :
Réglementaires : normes d'émissions plus strictes et nouvelles exigences de reporting (ex. : BEGES en france, CSRD en Europe) ;
Financières : les investisseurs privilégient les entreprises performantes en matière d'ESG ;
Commerciales : les consommateurs préfèrent des produits et services bas carbone ;
Sociales : les employés recherchent des entreprises alignées avec leurs valeurs environnementales.
Face à ces enjeux, les entreprises doivent repenser leurs stratégies et leurs opérations pour rester compétitives dans une économie bas carbone en évolution.
Réglementations environnementales : Ce que les entreprises doivent savoir
Pour bâtir une stratégie de décarbonation efficace, les entreprises doivent naviguer dans un environnement réglementaire de plus en plus complexe et en constante évolution.
France
En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) constitue la feuille de route pour lutter contre le changement climatique. Elle fixe des objectifs ambitieux pour l'industrie, visant une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 35 % d'ici 2030 et de 81 % d'ici 2050, par rapport aux niveaux de 2015. Pour atteindre ces objectifs, la SNBC encourage les entreprises à adopter des systèmes de production bas carbone, à développer des technologies innovantes et à optimiser leur efficacité énergétique.
Les entreprises de plus de 500 salariés sont également tenues de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES), couvrant les scopes 1, 2 et 3. Par ailleurs, le plan France 2030, doté de 54 milliards d'euros, mobilise une partie de ce budget pour soutenir la décarbonation de l'industrie.
Europe
Au niveau européen, le cadre réglementaire est particulièrement robuste. Le Pacte vert pour l'Europe (Green Deal) vise à rendre l'Union Européenne neutre en carbone d'ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de GES d'au moins 55 % d'ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990. Dans ce contexte, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), qui est entrée en vigueur en 2024, renforce les obligations des entreprises en matière de reporting extra-financier, les obligeant à fournir des informations détaillées et standardisées sur leur impact et leurs performances environnementales.
États-Unis
Aux États-Unis, l'Inflation Reduction Act de 2022 représente le plus grand investissement fédéral jamais réalisé en faveur de l'action climatique, allouant 369 milliards de dollars aux programmes liés à la sécurité énergétique et à la lutte contre le changement climatique, en soutenant notamment l'industrie verte. Cette loi inclut des incitations fiscales substantielles pour les projets d'énergie propre et les véhicules électriques, visant une réduction des émissions de carbone d'environ 40 % d'ici 2030. De plus, la Securities and Exchange Commission (SEC) finalise des règles qui exigeront des entreprises cotées qu'elles divulguent leurs risques climatiques et leurs émissions de GES.
Les entreprises opérant au niveau national ou international doivent se préparer à naviguer dans un paysage réglementaire de plus en plus complexe. Les exigences varient considérablement d'une région à l'autre, et cet environnement dynamique est le reflet des efforts croissants des gouvernements pour lutter contre le changement climatique.
Stratégie de décarbonation : que doivent faire les entreprises ?
Mesurer leurs émissions de GES
La première étape essentielle dans l'élaboration d'une stratégie de décarbonation est la mise en place d'une comptabilité carbone exhaustive. Cette démarche consiste à mesurer et quantifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'une organisation, établissant ainsi une base de référence pour évaluer les efforts de réduction futurs.
La comptabilité carbone se structure autour de trois catégories d’émissions, appelées scopes, qui définissent les périmètres à analyser :
Scope 1 : émissions directes provenant de sources détenues ou contrôlées par l'entreprise, comme la combustion de carburants sur site ou les émissions des véhicules d'entreprise.
Scope 2 : émissions indirectes liées à l'énergie achetée, notamment l'électricité, la vapeur, le chauffage et le refroidissement consommés par l'entreprise.
Scope 3 : toutes les autres émissions indirectes survenant dans la chaîne de valeur de l'entreprise, incluant les fournisseurs, les déplacements domicile-travail des employés, les déplacements professionnels, et l'utilisation des produits vendus.
Une comptabilité carbone précise est essentielle : elle permet de mesurer les émissions et d’établir une base solide pour identifier les priorités de réduction. Elle aide à planifier des actions ciblées en localisant les principales sources d’émissions et assure un suivi régulier des progrès pour maintenir l’alignement avec les objectifs fixés. Elle joue aussi un rôle clé dans la conformité aux exigences réglementaires, qui se renforcent constamment en matière de reporting.
Pour faciliter ce processus, il est recommandé d’implémenter des outils de collecte de données et d’utiliser des plateformes ou logiciels spécialisés en comptabilité carbone, qui automatisent la collecte, garantissent une analyse fiable et offrent une visibilité claire sur les émissions pour maximiser l’impact des actions entreprises.
Fixer des objectifs clairs et basés sur la science
Une fois la comptabilité carbone de l'entreprise effectuée, l'étape suivante consiste à définir des objectifs de réduction à la fois ambitieux et réalistes. Il est fortement recommandé aux entreprises de s'aligner sur des objectifs validés par des initiatives reconnues telles que le Science Based Targets initiative (SBTi), qui s'appuie sur des données scientifiques pour définir des trajectoires de réduction des émissions cohérentes avec l'Accord de Paris.
Cette démarche connaît un essor significatif : fin 2023, plus de 4 000 organisations avaient adopté des objectifs validés par le SBTi. En définissant des cibles spécifiques pour chaque scope d'émissions, ce cadre rigoureux permet aux entreprises de structurer efficacement leurs actions et de mesurer leurs progrès.
Élaborer une feuille de route
L'élaboration d'une feuille de route repose souvent sur une analyse détaillée des émissions dans différents scénarios, notamment le "business as usual" (autrement dit, une projection des émissions si aucune action spécifique n'est entreprise), et l'exploration de stratégies de réduction adaptées aux spécificités de l'entreprise.
En identifiant et en priorisant les leviers d'action les plus pertinents tout au long de leur chaîne de valeur, les entreprises peuvent maximiser l'impact de leurs initiatives. Une stratégie bien pensée associe généralement des actions à court terme, comme des gains rapides liés à l'efficacité énergétique, et des projets à plus long terme, tels que la refonte des produits dans une logique d'économie circulaire.
Mettre en œuvre la stratégie de décarbonation
La phase de mise en œuvre est un moment critique où la stratégie prend forme. Elle commence par l’activation des "gains rapides" identifiés et évolue vers des transformations plus profondes. Cette étape nécessite une allocation stratégique des ressources, des structures de gouvernance claires et une répartition des responsabilités au sein de l’organisation.
Prioriser les initiatives en fonction de leur impact potentiel et de leur faisabilité est crucial, tout comme l’implication de l’ensemble des collaborateurs dans cette démarche. Une coopération étroite avec les fournisseurs et partenaires s’avère également essentielle pour réduire efficacement les émissions tout au long de la chaîne de valeur.
Suivre les progrès et adapter
Un suivi rigoureux et régulier est essentiel pour évaluer l'efficacité de la stratégie de décarbonation et l'ajuster si nécessaire. Cette étape repose sur la mise en place de systèmes solides de collecte et d'analyse de données, permettant un suivi régulier et à jour de l'empreinte carbone de l'entreprise par rapport aux objectifs fixés.
Ce processus continu permet de mesurer les progrès réalisés et d'identifier rapidement les écarts par rapport aux objectifs initiaux. Ainsi, les entreprises peuvent adapter leur approche en temps réel, en renforçant les initiatives les plus efficaces et en réaffectant les ressources là où elles auront le plus d'impact Des audits réguliers garantissent la fiabilité des données et préservent l'intégrité de la démarche de décarbonation.
Assurer la transparence et la communication des résultats
La transparence est essentielle pour instaurer la confiance avec les parties prenantes et affirmer l'engagement de l'entreprise. Une communication régulière et claire est indispensable, tant en interne pour tenir informée la direction et les employés, qu'en externe via des rapports ESG annuels destinés aux parties prenantes.
Pour structurer cette communication, de nombreuses entreprises adoptent des cadres de reporting reconnus, tels que le CDP (Carbon Disclosure project) ou le TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures), permettant de standardiser et de rendre crédible le partage des informations.
Il est crucial d’être transparent sur les succès comme sur les défis rencontrés, cela permet non seulement de maintenir la confiance des parties prenantes, mais aussi de tirer des enseignements précieux pour ajuster la stratégie à venir.
Comment mettre en œuvre efficacement une stratégie de décarbonation ?
Intégrer les objectifs climatiques dans les opérations quotidiennes
Pour que la stratégie de décarbonation soit réellement efficace, elle doit être intégrée dans les opérations quotidiennes de l'entreprise. Cela passe par :
L'intégration des enjeux climatiques dans tous les processus décisionnels.
La formation des employés à tous les niveaux sur les pratiques durables et leur rôle dans l'atteinte des objectifs climatiques.
L'établissement d'indicateurs de performance (KPI) qui lient les résultats climatiques à la performance commerciale.
La mise en place d'incitations pour encourager les choix respectueux de l'environnement
Utiliser des logiciels dédiés à la comptabilité carbone
Les logiciels de comptabilité carbone facilitent la mesure et le suivi des émissions, en assurant une gestion plus précise et fluide des données. Elles permettent de surveiller en temps réel, de garantir la conformité aux exigences de reporting et de limiter les erreurs humaines. Ces outils offrent également une vision claire des principales sources d’émissions, en particulier celles liées au scope 3.
Impliquer les parties prenantes et les fournisseurs
L'implication de toutes les parties prenantes est essentielle pour réussir. Former les employés permet de créer une véritable culture d'entreprises autour des enjeux environnementaux. De même, collaborer étroitement avec les fournisseurs est crucial pour réduire les émissions du scope 3, qui représentent souvent 65% à 95% de l'empreinte carbone d'une entreprise.
Assurer une communication transparente
La communication transparente et régulière avec toutes les parties prenantes – internes et externes – est indispensable. Elle crée un climat de confiance, démontre l'engagement de l'entreprise et peut attirer de nouveaux employés, clients et investisseurs, de plus en plus sensibles aux enjeux climatiques.
Conclusion
La mise en œuvre d'une stratégie de décarbonation constitue un levier clé pour les entreprises désireuses de se différencier dans un environnement économique de plus en plus axé sur la durabilité. En intégrant les enjeux climatiques dans leurs opérations, elles parviennent non seulement à anticiper les évolutions réglementaires et à répondre aux attentes des consommateurs, mais aussi à stimuler l'innovation et à réduire leurs coûts opérationnels. Adopter une approche proactive en matière de décarbonation permet de renforcer la compétitivité à long terme et de saisir les nouvelles opportunités économiques qui émergent dans un contexte de transformation durable des marchés.
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